
Sur l’écran plat de la télévision du salon, la guerre fait rage : un avion traverse le ciel et lâche une bombe, un bâtiment se consume et une mère pleure son enfant mort. C’est un condensé des désastres de la guerre moderne, celle qui réduit en ruines les villes dès le premier conflit mondial de 1914-1918 et dont le trauma s’est fixé profondément dans notre imaginaire avec Guernica (1937). Le champ de bataille en tant que tel n’existe plus, puisque la guerre se répand désormais partout et détruit les populations civiles et les lieux qu’elle devrait en principe épargner. Il suffit de songer au tristement célèbre Hôpital Al-Shifa de Gaza.
Avec son dessin paru dans Marianne le 2 février 2024, Camille Besse ne nous transporte pas directement sur le théâtre des opérations militaires (Ukraine ou Palestine) occupant actuellement le devant de la scène médiatique. Elle se place plutôt du côté des réactions au spectacle de la guerre pour les sonder et nous y faire réfléchir.
Qu’on le veuille ou non, compte tenu de la relative proximité géographique des conflits meurtriers en cours, ils nous atteignent et nous obligent à en dire quelque chose, à l’instar de ce couple banal posté, chaque soir sans doute, devant son téléviseur. Qu’est-ce que la guerre depuis notre paisible sphère privée ?
Un essai de l’écrivaine américaine Susan Sonntag (1933-2004) interrogeait précisément ces enjeux. Son titre entre parfaitement en résonance avec le dessin de Camille Besse : Devant la douleur des autres (Christian Bourgois, 2003). Que nous fait, sensiblement parlant, la guerre vue à distance ? La dessinatrice saluée par le prix « Coup de cœur » Presse Citron 2024, retient deux réactions typiques. Pour simplifier, désignons la première (« féminine ») comme la réponse compassionnelle et la seconde (« masculine ») relativiste.
Tout en reprenant ironiquement des stéréotypes de genre relatifs à la sensibilité, ces deux réactions définissent l’étroit cadre émotionnel qui s’offre à nous aujourd’hui, téléspectateurs ou plus généralement consommateurs d’images chaotiques des guerres modernes sur les réseaux sociaux ou dans les magazines.
Bien assis dans le fauteuil confortable de nos salons, on peut faire comme si une image n’était pas une image et adhérer à la réalité représentée en faisant mine d’oublier tout ce qui nous en sépare : pousser un cri, laisser couler une larme comme la figure féminine de Camille Besse. Ou, au contraire, ratiociner et ne pas vraiment regarder la violence extrême de ce qui est montré (l’enfant assassiné) en introduisant implicitement une distinction. D’un certain point de vue, c’est inacceptable, mais d’un autre, on peut admettre cette « horreur ». « C’est où ? » demande le mari, les mains campées sur ses hanches. Et par cette question apparemment anodine, la réprobation à l’égard de l’horreur n’est plus absolue. À suivre cette insinuation, certaines populations pourraient alors « mériter » l’horreur.
Et c’est ainsi que, loin d’une véritable et difficile intelligence des conflits en cours, l’apocalypse entre au living-room.